S.Redfield : Promiscuité

Al Wihda, Irak.

¤ Chapitre I. Inattention

Première fois.
Première impression.
Premier effroi, première pression. La détente suiva.

Seulement une seconde de fuite, cette dernière l'atteigna et le fit s'écrouler. Ce n'était que cinq cent mètres, bien que suffisants pour l'occasion, je n'y porta pas la moindre attention.
Mon objectif était simple : élimination. Bruyant ? Peu importe, il devait tomber et ce soir, de lauriers j'étais honoré.

Je fus félicité, ovationné, embrassé, enlacé. Mais également heurté par l'effroyable revers de toute guerre : l'incapacité d'un homme, malgré ses exploits, à changer la donne & ce, en dépit de toute somme.
Un de plus me disais-je, demain, ce sera un autre. Le surlendemain sera encore la même chose, jusqu'à ce que ce soit mon tour, que l'autre camps ait lui aussi son heure de gloire.
Tandis que mes opposants fêteront leur victoire sur l'élément ennemi leur ayant causé autant de pertes, moi, je ne deviendrais, comme tous les autres, qu'une simple ligne gravée dans la pierre et ce, parmi tant d'autres.

L'aube était fière, l'astre luisait. Derrière moi, tout n'était que terre & pierres, mêlés à la poussière d'un désert vallonné ou quelques minutes plus tôt, se tenait mon promontoire. Le fusil bon marché, rongé par l'amère agression des éléments, si souvent enrayé par le sable & les graviers, reposant sur mes genoux en guise de gage de vitalité et de promiscuité à la liberté, comme tout bon guerrier pourrait s'y attendre, sans s'y méprendre.
Nous convergions vers l'évacuation, moteur hurlant, véhicule cahotant. Cette vielle Jeep n'était peut-être pas une si mauvaise idée.

Quelque part, à quelques centaines de mètres de notre position se profilait un danger que je n'ais encore jamais su nommer.

Un chanteur qui m'était inconnu fredonnait un air local, les balises, bornes & véhicules abandonnées défilaient. Notre centre d'opérations était en vue, je souriais simplement.
Etais-je fier de ce précédent acte ? Etais-je si heureux que ça ?

Ce voile de bonheur n'était rien, le mieux est l'ennemi du bien, la balle, quant à elle était bien réelle.
Si soudain, une unique seconde d'écart entre la détonation et la destruction de ce masque de joie. L'étincelle fuyante vint caresser mon visage, elle me brûla. Les éclats de verre virevoltèrent lentement : simple mirage imposé par mon esprit si surpris. A ma gauche, le sang giclait, ses yeux révulsés, son visage brisé, sa nuque défoncée par le panneau d'acier éclaté sous l'impact de la cartouche. Un dernier regard livide, d'un être humain vivant quelques secondes plus tôt puis ce fut la chute.

La vielle Jeep était encastrée sur un rocher, dans ce profond fossé, maintenant baigné du sang de mon frère d'arme. Je ne vis que du blanc, puis sacades après sacades, un dégradé de lueurs grisâtres, si lentement noyées par le dernier voile noir précédant la mort qui, visiblement était enjouée à l'idée de m'emporter.

Ma tête bascula. Tandis que j'heurtais l'encadrement métallique de la portière de ma tempe droite, un goût de fer emplissa ma bouche.

Mon coeur lui, décida que tout devait s'arrêter là.

Cependant, j'avais déjà quitté l'Irak.
Suprenante, cette sensation de déjà-vu. Les gyrophares me réveillerent mais ma tête était de plomb. De puissants bras me tirèrent de là, ma vision était floue, seul un sol humide, luisant des premières gouttes de rosée me faisait face.

Puis l'éclair, mon incapacité à ouvrir les yeux : une vive lumière rouge à travers le voile ensanglanté qui tâchait ma cornée.
Sur le dos, le monde autour de moi s'animait. Les cris résonnaient, des plaintes s'y mêlaient puis des sanglots prirent le dessus.
Toute sensation n'était plus qu'impression, tous sens anéantis j'entrepris de pivoter sur mon flanc gauche, peine perdue, même ma respiration était quasi-artificielle et ce tube de plastique m'empêchait de faire le moindre geste.

Tandis que je sombrais à nouveau vers un état second, parfait mélange d'inconscience et d'amnésie soudaine, mes rêves reprirent le flambeau. Long couloir vide, immaculé, unique lueur blanche, je flottais. Le temps s'arrêta, je divaguais déjà.

Une simple faute d'inattention lui avait coûté la vie. Ce soir, n'aurait pas du être synonyme de décès. Nous aurions du y rester tous les deux, par équité. Je ne méritais pas plus que lui et pourtant ...

mon coeur en avait décidé autrement, fonctionnant à nouveau parfaitement.